« Il faut passer des intentions aux actions pour développer la riziculture congolaise »

« Il faut passer des intentions aux actions pour développer la riziculture congolaise »

31/12/2019
Merveille Saliboko
Merveille Saliboko
Communications Officer & Journalist in DR Congo

Kinshasa. Du 14 au 18 octobre 2019, un workshop a été organisé par la Coalition pour le développement de la riziculture en Afrique, CARD (Coalition for African Rice Development). Objectif : travailler sur le document de stratégie nationale de développement de la riziculture. Parmi les participants : Germaine Furaha, coordinatrice du programme riz de Rikolto en RDCongo. Interview.

« C’est une version révisée. Elle va remplacer l’ancienne version élaborée en 2013 et qui, malheureusement, n’est même pas passée à la phase de mise en œuvre pour plusieurs raisons. CARD a organisé ce workshop pour que des éléments manquant à l’ancienne version soient récoltés et intégrés à cette version révisée afin d’avoir une stratégie bien adaptée pour la mise en œuvre », lance, d’emblée, Germaine, en ligne de Bukavu, au Sud-Kivu.

Sur quoi portait votre présentation au cours du workshop ?

Nous avons été contactés, Rikolto en général et moi-même en particulier. Les organisateurs avaient déjà lu ce que Rikolto fait dans le riz, ils avaient estimé que Rikolto est une organisation qui peut contribuer aux réflexions. J’ai donc présenté l’approche d’intervention de Rikolto dans la riziculture, notre proposition de valeur dans le programme riz en général. Ma deuxième intervention était relative aux commentaires concernant la proposition du document de stratégie de développement de la riziculture.

Que retenir de la proposition de valeur de Rikolto dans le riz que vous avez présentée ?

J’ai beaucoup insisté sur trois aspects. Le premier, c’est la production de riz en qualité et en quantité. Tout ce qui est valeur nutritive du riz, ce qui nous ramène à l’approche environnementale car on voit comment ce riz est produit. Le deuxième aspect est l’accès et le développement du marché. Comment faire pour que ce riz frais, nutritif soit accessible aux consommateurs. Le dernier aspect est le bénéfice que chaque acteur doit tirer de cette chaine de valeur pour qu’elle soit durable.

Parlons de vos commentaires sur l’ébauche du document de stratégie. D’abord les statistiques…

Nous, au niveau de Rikolto, nous avons constaté que le document lui-même reflète déjà le problème des statistiques agricoles. La stratégie est parfois moins précise par manque de données. Au lieu de mettre un chiffre, par exemple, on dit « en des proportions grandissantes ». Nous avons proposé que la stratégie doive intégrer cet aspect. Dans la mise en œuvre, il faut travailler pour avoir les statistiques agricoles actualisées et fiables.

Que dire de la qualité du riz ? C’est clairement relevé dans le document ?

Au niveau de la qualité du riz, nous savons que le riz congolais en général n’est pas compétitif à cause de sa faible qualité. En lisant le document, nous avons constaté que l’on parle de la qualité mais on ne dit pas clairement comment on va assurer cette qualité-là. Comme si la qualité n’est pas un sérieux problème pour lequel on veut trouver une solution. Nous avons donc conclu que la RDC ne dispose pas encore de normes de qualité pour le riz et qu’il est important que le Congo détermine les classes de qualité.

La durabilité est un enjeu actuel et futur. Que dit la stratégie à ce propos ?

L’aspect durabilité n’est pas non plus suffisamment pris en compte. Jusque-là, la riziculture en RDC est plus pluviale. Ce qui explique le peu d’intérêts concernant l’utilisation rationnelle de l’eau et des intrants. On ne peut pas en ce jour proposer une stratégie qui n’a pas d’ancrage environnemental. Ce serait égoïste vis-à-vis des générations futures. C’est ici que nous avons fait référence et expliqué l’engagement de Rikolto dans le SRP (Sustainable Rice Platform) qui est une opportunité pour observer les différentes exigences environnementales dans la pratique du riz.

Le Congo a des zones non exploitées mais propices à la riziculture

Nous avons également dit que si nous voulons nourrir les congolais, les africains et le monde, nous ne pouvons pas prétendre y arriver avec seulement 2% de riziculture irriguée et 96% de riziculture pluviale. Nous avons démontré que la RDC a un potentiel énorme avec des zones propices pour la riziculture irriguée et inondée. Dans ce sens, la stratégie doit insister sur les investissements dans les infrastructures hydro-agricoles pour valoriser ces bas-fonds que nous avons à travers le pays.

Le marché, au cœur de toute bonne stratégie

Un autre point important sur lequel nous avons émis des recommandations, c’est le marché. On sent que la stratégie nationale a plus un ancrage au niveau de la production. Il y a comme une rupture entre la production et le marché. Or, il faut développer la chaîne de valeur en commençant par le marché. La question à se poser est : « qu’est-ce que les congolais préfèrent manger comme type de riz ? » C’est lorsqu’on connait la réponse à cette question que l’on va produire en fonction de ces préférences. Lorsque les producteurs se mettent à réfléchir sans les consommateurs, pour nous, c’est un risque pour la durabilité de la chaîne de valeur. Nous avons donc insisté sur le lien producteur-consommateur de manière durable. Ce qui nous a conduits à expliquer que, pour nous, l’approche industrielle n’est pas la solution. La solution se trouve dans l’approche riziculture familiale et le travail à faire consiste à professionnaliser ces riziculteurs. Les riziculteurs doivent accéder au marché et nouer des liens commerciaux solides. Cela peut être la réponse à plusieurs problèmes à la fois : de la production à la consommation en termes de disponibilité du riz, emploi, et la durabilité. Nous nous sommes appuyées sur les acquis des interventions de Rikolto dans la chaîne de valeur riz en ce qui concerne la structuration des riziculteurs en coopératives.

Est-ce que Rikolto sera partie prenante à la validation et mise en œuvre de cette stratégie ?

Sur base de nos apports lors de cet atelier et surtout lorsqu’ils ont compris ce que Rikolto fait dans la chaîne de valeur, ils ont tout de suite dit qu’ils vont retravailler le document et que nous ferons partie des acteurs pour la validation et aussi pour la mise en œuvre dans la partie sur l’Est du pays. Bien sûr, ils nous ont dit ‘pourquoi seulement l’Est ? Venez aussi à l’Ouest’. Je dis ‘oui, pourquoi pas ! Nous sommes une organisation ouverte. Il n’y a pas longtemps, nous avons commencé des activités au Tanganyika.

Quelles sont les prochaines étapes pour la validation ?

La commission en charge de la rédaction du document, constituée essentiellement d’une équipe du ministère national de l’agriculture et de la CARD, va finaliser le texte. Puis elle se rendra dans certaines zones pour présenter l’idée et avoir le feedback des acteurs pour des éléments additionnels à intégrer. Ce n’est qu’après cette étape qu’il y aura un atelier de validation de cette stratégie. Les dates n’ont pas été clairement définies mais ils nous ont fait comprendre qu’au cours du premier semestre 2020, ils espèrent passer à la phase de validation.

Et après la validation, qu’est-ce qui va se passer ?

La stratégie est globale. Avec cette stratégie, on peut avoir plusieurs projets qui vont se développer dans les différents milieux. CARD va travailler avec les acteurs de mise en œuvre, notamment Rikolto, pour faire des propositions de projets. Et chercher des possibilités de financement.

Quel sera l’apport de l’Etat congolais ?

J’imagine que l’Etat congolais va refléter cela à travers le budget réservé à l’agriculture, en général, et au secteur rizicole en particulier. Je vais vous donner l’exemple du Madagascar où le pays a un budget spécifique pour la riziculture ! La RDC peut aussi agir en planifiant un budget conséquent pour le secteur agricole et la riziculture en particulier. J’imagine que l’Etat va jouer un grand rôle auprès des partenaires bilatéraux pour ce qui est de la recherche de financements. Les partenaires de mise en œuvre peuvent chercher à leur niveau mais la logique serait que tout soit coordonné au niveau de l’Etat.

Il y a deux ans, dans un autre article publié sur notre site web, vous disiez que la stratégie nationale de développement de la riziculture n’est pas mise en œuvre. Comment faire pour que celle qui va sortir bientôt ne puisse pas subir le même sort ?

Belle question. Je l’avais dit il y a deux ans. Aujourd’hui, on passe à la révision d’une stratégie qui n’a jamais été mise en œuvre. Ce qui est une entorse. On ne sait pas sur base de quoi on est en train de réviser une stratégie qui n’a pas été testée. C’est tout ça la problématique. Pour moi, ce n’est pas logique. En analysant les raisons qui font que la stratégie n’a pas été mise en œuvre, on se rend compte que l’on ne s’en est pas approprié au niveau du pays. Lorsqu’on a un appui extérieur pour concevoir une stratégie, on a sorti le document, à mon avis, sans réfléchir sur la mise en œuvre. C’était donc ça le problème de planification. Et pour cette nouvelle version, ce sera la même chose si nous pensons que le document de stratégie est un but au lieu d’un instrument pour atteindre le but. Pour moi, il faut avoir aussi une stratégie de financement. Pour qu’elle ne reste pas lettre morte, il faut une volonté politique de sa mise en œuvre. C’est ici que j’insiste sur le rôle de l’Etat. Oui, les partenaires peuvent chercher des financements à leur niveau mais c’est à l’Etat d’être à la première place. Une fois que la stratégie aura été validée au niveau du pays, le gouvernement doit présenter à la limite le budget qui est disponible pour la mise en œuvre ou démontrer les efforts qu’il va fournir pour avoir les fonds qui vont financer cela. Sinon, ça sera comme le premier document s’il n’y a pas appropriation.

Est-ce que vous voyez une certaine volonté dans le chef des acteurs politiques actuels ? Le ministère de l’agriculture notamment ?

Je ne dirai pas non. Même si, à ce stade-ci, tout reste encore mitigé. Nous sommes dans la phase d’intentions, mais pas d’actions. Je sens qu’il y a cette intention, cette volonté. Le président de la république en parle constamment : son secteur prioritaire c’est l’agriculture. Je ne veux pas être pessimiste. Maintenant, nous attendons la phase d’action pour nous rassurer qu’il y a cette volonté de faire quelque chose. Avec tous les défis que le Congo a, le congolais est moins attiré par des déclarations d’intentions que par les actions. Déjà le premier signal avec le budget annuel du pays pour l’année 2020, ça ne rassure pas. On ne sent pas la traduction de l’intention en actions concrètes !