La vente des fleurs de café en Ituri: une pratique à bannir

La vente des fleurs de café en Ituri: une pratique à bannir

25/08/2018
Ivan Godfroid
Ivan Godfroid
Regional advisor business development

Si vous vivez à l’Est de la République démocratique du Congo et que vous êtes petit producteur agricole, possédant un demi hectare de caféiers, je ne dois pas vous expliquer ce que veut dire « la vente des fleurs ». Tous les autres lecteurs risquent d’être étonnés. «Depuis quand est-ce que le Congo exporte des fleurs ?», est une réaction souvent entendue.

Pour les producteurs de café arabica en Ituri, le café est leur source principale de cash. Que ce soient les améliorations à la maison, le minerval des enfants ou le financement d’activités commerciales, la recette du café sert à tout cela. Mais dans cette province frontalière avec l’Ouganda, avec des altitudes qui dépassent 2.200 mètres, la récolte du café n’a lieu qu’une seule fois l’an. Et donc, même si le maïs et les haricots viennent quelques fois renforcer les revenus, il y a des périodes où un besoin urgent de liquidités se pose : maladie ou décès d’un membre de la famille, dégâts à la maison à cause d’un orage, une amende ou une querelle judiciaire ou toute autre chose qu’on n’a pas l’habitude de prévoir. Parfois aussi, des dépenses prévisibles tels que le minerval des enfants, ne peuvent pas être couvertes à cause d’un contre-temps dans la ferme.

Mise en gage

Si cela se produit pendant la période de floraison du café, on invite l’acheteur de fleurs. Il examinera l’abondance des fleurs sur les caféiers, en estimera la valeur attendue à la récolte, comptera le nombre d’arbustes et par une simple multiplication, il fixera le montant du crédit accordé. Pour un champ de 500 caféiers, un crédit pour la durée d’une saison de 1000 Shilling ougandais par arbuste (l’économie frontalière est dominée par le Shilling) donne alors un crédit total de 500.000 Shillings (139 $ au taux de 3.600 Sh/$).

A partir du moment où le crédit est accordé, le propriétaire ne touche plus à son champ. C’est le créditeur qui le prend en gage jusqu’à la fin de la période de mise en gage. Ce dernier aura donc le droit de récolter tout café tout au long de la période convenue. Celle-ci peut aller de 1 à 5 ans. La durée est évidemment liée au montant accordé.

Quelles sont les conséquences de cette vente des fleurs pour les producteurs ?

Nous avons demandé à un consultant, M. Raphael Binga Mugenyu, de faire une analyse participative de cette pratique, et ses conclusions sont très instructives.

Si on compare le montant que le producteur aurait obtenu en vendant lui-même son café avec la somme d’argent qu’il a reçue en crédit, la différence entre les deux constitue son manque à gagner. Celui-ci varie entre 33 et 70%, avec une moyenne pondérée de 62%. On peut donc affirmer que presque deux tiers de la valeur de la production des planteurs leur échappe, sous forme d’intérêts payés aux prêteurs en nature. Si nous exprimons cette perte pour les producteurs en taux d’intérêts pour les prêteurs, selon la durée des prêts accordés, nous constatons que ces taux prennent des allures d’usurier, allant de 17 (acceptable) à 163% par an, mais avec une moyenne pondérée de 128%. Ceci est causé par le fait que les crédits d’une année sont plus fréquents, et cela se comprend, car le taux d’intérêt obtenu pour un crédit d’une année est de loin le plus intéressant.

La mise en gage des champs de caféiers permet bien sûr aux producteurs d’obtenir un crédit et subvenir à certains besoins urgents, mais celle-ci leur est financièrement très défavorable car ils finissent par rembourser en nature au créancier plus du double du montant emprunté.

Quelles sont les conséquences de la mise en gage sur la productivité des champs de caféiers ?

Un tiers des créanciers n’entretiennent pas très bien les champs de caféiers qu’ils ont pris en gage. Ceci peut avoir une conséquence très néfaste sur la productivité de ces champs après la remise aux propriétaires. Il y aura comme conséquences la diminution de la production et la baisse de revenu qui en résulte, et des dépenses importantes pour restaurer la productivité des champs.

Une comparaison entre la récolte d’avant la mise en gage et celle d’après, démontre une baisse qui varie entre 26 et 45%, avec une moyenne de 38%. Ceci vient confirmer le fait que les champs mis en gage sont mal entretenus par les créanciers et que cela conduit inexorablement à une diminution de la production.

Les conclusions sont claires

Sur tous les plans, la vente des fleurs est une pratique qui nuit au producteur de café. Le besoin d’argent immédiat et l’absence d’une institution de microfinance à proximité le poussent à s’endetter à des conditions très défavorables. A court terme il perd son argent, à plus long terme même ses terres sont en danger. Le créancier, quant à lui, s'enrichit sur le dos de son prochain, à des taux d'intérêts usuriers qui ne peuvent être consacrés par aucune autorité. Comme cette pratique se déroule entièrement dans l'informel, aucune loi ne la régit, aucun contrôle n'y est appliqué.

La Coopérative Kawa Maber a intérêt à imaginer une stratégie pour trouver une alternative viable à cette pratique, car l’étude a démontré qu’un quart des membres ont déjà, à un moment de leur vie, mis en gage leur caféière. La vente des fleurs est donc également une menace pour la coopérative.

C’est ainsi qu’avec un appui du PNUD, Rikolto et Kawa Maber ont mis en place des MUSO, mutuelles de solidarité, au niveau des micro-stations de lavage de café de la coopérative. Notre consultant a fait un sondage pour connaître l’appréciation par les producteurs : 93% des membres estiment que les MUSO ont une influence positive sur leur situation financière. Cette affirmation est étayée par le fait que 87% des membres des MUSO ont déjà été servis par celles-ci en crédit pour différents motifs. Ces motifs sont regroupés comme suit : 32% pour les scolarités, 24% pour le commerce, 19% pour les constructions et 17% pour les soins médicaux. Si les MUSO n’étaient pas là, ces gens auraient probablement mis en gage leurs champs.

D’autre part, les producteurs confirment également que le faible montant que la MUSO peut offrir comme crédit par rapport au besoin réel oblige toujours un nombre important de caféiculteurs à mettre en gage leurs champs.

L’interpellation est résonante

Pour éradiquer la vente des fleurs, la capacité des MUSO devra être renforcée considérablement. Nous espérons que l’augmentation des revenus des producteurs grâce aux meilleurs prix obtenus par leur coopérative pour leur café de spécialité leur permettra d’épargner aussi de plus en plus. L’épargne dans toute communauté est un préalable important pour augmenter la capacité de crédit à des conditions viables.