« Si tout va bien, Kawa Kabuya sera autonome dans 3 ans »

« Si tout va bien, Kawa Kabuya sera autonome dans 3 ans »

26/12/2019
Merveille Saliboko
Merveille Saliboko
Communications Officer & Journalist in DR Congo

Il y a deux ans, la comptable régionale de Rikolto en RDCongo faisait une étude sur l’autonomie de la coopérative Kawa Kabuya, dont les membres se trouvent en territoires de Lubero et Beni au Nord-Kivu. Cécile Sikuhimbire avait fixé l’autonomie en 2019. Shakes Muyisa Sivasingana, directeur-gérant de cette coopérative, revient sur la mise en œuvre des recommandations de l’étude. Interview.

En 2017, il y a eu une étude sur l’autonomisation de la coopérative Kawa Kabuya. L’étude était assortie de recommandations. Pouvez-vous me dire ce que vous avez fait de ces recommandations ?

Nous avons tenu compte de toutes les recommandations. La première et la principale était qu’au-delà de 6 conteneurs, la coopérative devient rentable et est sur la bonne voie vers l’autonomisation. Nous sommes sur une moyenne de production et d’exportation de dix conteneurs par an. Nous sommes en train de gagner, d’avoir un intérêt. Mais ce qui reste, c’est que nous avons eu de sérieux problèmes. On peut aller au-delà de six conteneurs, mais à la fin vous constatez que tout le café n’est pas vendu. On est donc obligé de vendre à bas prix. Ce qui laisse qu’on entre dans les pertes. Ce qui reste, à mon avis, c’est le marketing.

J’allais effectivement vous poser la question de savoir comment faire pour vendre plus et gagner plus en termes de bénéfices à reverser aux membres…

Il faut avoir en amont des contrats signés. Il faut accentuer le marketing pour ne pas avoir des invendus. Et là, on va adapter le prix des cerises à ces contrats afin que les membres puissent se retrouver. Pour que les membres se retrouvent, il faut préalablement vendre le café à bon prix.

Mais il y a déjà un certain nombre de contrats à prix stable, comme Colruyt…

Nous avons signé un contrat de livraison de deux conteneurs avec Colruyt. Mais ce n’est pas suffisant par rapport à notre seuil de rentabilité. Nous avons finalement signé un contrat de livraison de cinq conteneurs avec Hacofco depuis que nous avons été certifiés « C.A.F.E. practices » pour Starbucks mais en 2018, nous avons produit quatre conteneurs invendus. Ce même café a passé une année entière à l’entrepôt, au stockage. Nous l’avons vendu comme K4 alors que c’était du café K3 ! Le dernier conteneur a été vendu il n’y a même pas une semaine. C’était vraiment une perte énorme pour la coopérative.

Comment faire pour booster le marketing de la coopérative ?

Il y a des préalables. Au début de la saison, il faut envoyer des échantillons aux acheteurs. Publier l’information avec des données concernant la production sur notre site web, qu’il faut bien élaborer pour attirer davantage de clients. Si notre communication est en marche, je crois que nous pouvons relever le défi.

Et la qualité du café ?

Evidemment, quand nous envoyons des échantillons aux acheteurs, quand ils apprécient notre qualité, ils lancent déjà la demande. On sait que le café que nous allons livrer sera de la même qualité que la qualité des échantillons envoyés. Sur terrain, nous nous efforçons de respecter ce principe. Le problème c’est notre façon de faire le marketing et envoyer les échantillons comme ça nous prend beaucoup d’argent.

La coopérative a déjà une certaine renommée. Plusieurs fois, elle a remporté le concours Taste of Harvest. Les acheteurs savent que vous êtes les meilleurs en termes de qualité. N’est-ce pas là un grand point sur le plan marketing ?

C’est très sûr, nous avons remporté beaucoup de prix. Mais, parfois nous trouvons des acheteurs qui veulent prendre de petites quantités. Et quand nous essayons d’évaluer la logistique, nous trouvons que si nous signons des contrats de livraison des petites quantités, nous serons en train de travailler à perte à cause du poids des charges fixes.

Un taux élevé d’activité hydrique a été retrouvé dans certains des lots de votre café. Quel est le commentaire que vous placez ?

Nous avons déjà préconisé le séchage sous ombrage. Parce que cette activité hydrique accélère la moisissure, la pourriture des graines. Avec nos conditions actuelles de séchage, nous pensons que nous sommes sur la bonne voie. Nous avons récemment fait les tests et les résultats montrent que nous sommes déjà dans le bon seuil pour ne plus tomber dans le water activity.

Pour ce qui est du bénéfice qui n’est pas au rendez-vous malgré une grande production, est-ce que ce n’est pas lié aux charges qui seraient excessives ?

En fait, dans le commerce de café, il y a beaucoup de charges, des frais fixes. Jusque-là, le prix que nous avons pour le café fully washed, il n’est pas vraiment conforme au coût de production. Nous vendons à moins cher alors que nous produisons à plus cher. Si nous avons de bons contrats, nous pouvons adapter nos charges et augmenter nos bénéfices. Mais c’est difficile, pour l’instant. Car le coût de production peut aller même jusqu’à 3,7$. Le plus souvent, on peut vendre à 4$, 4,4$... même à 3$. Et le même café, nous avons deux qualités : le K4 et le K3. Le K4 est un café qui a le coût de production de 3,7$ mais que l’on vend à 1,5$. Je vous laisse imaginer ce que cela nous cause, par manque d’un meilleur prix.

Et si vous renforcez la rigueur dans le traitement du café pour avoir beaucoup plus de K3 et moins de K4 ?

Si nous produisons trop de K3, et moins de K4, cela peut augmenter les bénéfices. C’est ce que nous faisons actuellement. Les dispositifs de traitement du café sont en train d’être renforcés pour que la production du café de qualité soit notre flagship. Je suis confiant que nous allons y arriver. Mais pour l’année 2018, nous avons eu beaucoup de K4 : 3 conteneurs de K4 contre 8 lots de K3.

Où en êtes-vous avec les différentes certifications ?

Cette année, on s’est fixé l’objectif d’avoir trois certificats : C.A.F.E. practices, Fairtrade et biologique. Jusque-là nous avons décroché le certificat « C.A.F.E. practices ». Nous sommes déjà dans le processus pour le certificat biologique. Nous pensons pouvoir décrocher le certificat biologique d’ici fin janvier 2020. En mars au plus tard, nous espérons solliciter la certification Fairtrade. Mais cela suppose que FLOCERT accepte soit d’envoyer à nouveau ses inspecteurs sur place (aujourd’hui, à cause de l’insécurité et la maladie à virus Ebola ils ne sont pas permis de venir sur terrain), soit qu’ils mettent en place un mécanisme provisoire de certification à distance.

Qu’est-ce que cela va changer dans le vécu quotidien du caféiculteur membre?

La certification a un impact sur la rentabilité même du café, l’augmentation des revenus dans les ménages des membres. Avant la certification C.A.F.E. practices, on achetait le café cerise à 350 francs congolais. Aujourd’hui, c’est à 450 francs par kilo. Notez donc ces 100 francs. C’est beaucoup pour un membre qui amène son café à la micro-station. La certification a un avantage pour le marketing car beaucoup d’acheteurs exigent que la coopérative ait un certificat. Et puis, la prime de la certification revient au membre. C’est donc une valeur ajoutée pour le membre.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face ?

La première difficulté est liée aux changements climatiques. Parfois trop de pluies, parfois trop de soleil. Jusque-là on ne sait pas comment contrôler les périodes de récolte autant que les périodes de traitement. Même pendant cette saison, il y a eu trop de pluie au point que l’on ne sait pas comment bien sécher le café. Et les routes sont impraticables. On ne sait pas évacuer le café produit.

L’autre difficulté, c’est la baisse vertigineuse du prix du café à la bourse de New York. Nous avons eu des difficultés à fixer le prix de la cerise.

Une autre difficulté est liée à la compréhension des aspects coopératifs par les membres. Par exemple, quand nous n’avons pas un bon prix, les membres amènent le café aux concurrents, et même aux fraudeurs. Il leur faut prendre la coopérative comme leur entreprise et non comme un acheteur parmi tant d’autres.

Et la ristourne, est-ce qu’elle est au rendez-vous ?

Oui. En 2017, nous avons donné la part réservée aux membres selon les statuts. Mais en 2018, les membres eux-mêmes ont décidé en assemblée générale d’affecter leur ristourne à la construction du bureau de la coopérative et une autre partie au laboratoire.

Et le crédit pour collecter le café, est-ce que vous en avez à temps ?

Ça, c’est un autre problème. Mais pour cette année, nous avons pu respirer grâce au crédit de Root Capital, SIDI, Alterfin, Omnival,… On avait des difficultés de remboursement pour les autres crédits à cause du crédit qui traînait dans l’entrepôt. Les crédits de cette année, nous sommes en train de les rembourser.

Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire à l’avenir pour atteindre l’autonomie ?

Fidéliser d’abord les clients, les prêteurs. On ne peut pas organiser une grande activité d’exportation sans crédit. Aussi, sensibiliser les membres à libérer leurs parts sociales pour renforcer le capital commercial. Cela peut aider la coopérative à voler de ses propres ailes.

La coopérative a passé deux ans sans appui financier direct de Rikolto. On serait tenté de dire que la coopérative est presque autonome.

On ne peut pas dire que la coopérative est autonome. L’appui financier direct, je peux le quantifier, il est minime. Le grand appui de Rikolto, c’est de nous accompagner dans la négociation des contrats avec les acheteurs, avec les prêteurs. Ce que Rikolto a fait pendant ces deux ans, c’est la mise en relation. On est en train d’échanger, sans forcément passer par Rikolto, mais nombreux prêteurs demandent que Rikolto soit leur gage. On peut se dire que nous tendons vers l’autonomie alors que les acheteurs eux veulent avant tout voir Rikolto pour garantir les contrats.

L’espoir est permis quant à votre autonomie ?

Cet espoir est grand. Nous le sommes déjà à un grand pourcentage.

Qu’est-ce que cela veut dire pour les membres ?

Pour les membres, dans le cadre de l’autonomie, la coopérative doit assurer son fonctionnement, tout contrôler, tout coordonner. Sans un appui quelconque. Mais les prêteurs veulent toujours la présence de Rikolto pour débourser les fonds.

Les prêteurs ne vous font pas encore confiance ?

Vous savez, la confiance se construit. Vous ne pouvez pas venir et en deux jours avoir la confiance, ce n’est pas évident. Mais comme nous sommes en train de rembourser, je crois que nous sommes en train de construire la confiance. Eux-mêmes nous sollicitent pour renouveler les prêts. Mais ils posent toujours la question à Rikolto quant au suivi de la coopérative s’il n’y a pas de risque. Je pense que dans une année à deux ans, la confiance sera instaurée et il n’y aura plus de crainte.

Et dans combien d’années, on pourra parler d’autonomie ?

Dans 3 ans. S’il n’y a pas de découragement de certains agents, certains membres, certains administrateurs. En regardant nos lignes de crédit et les acheteurs qui nous sont fidèles, je me dis que si tout va bien dans 3 ans la coopérative pourra être autonome. Ça, j’en suis sûr.